« Journal intime d’une course en pleine nature… »

8 heures du matin.

-4 degrés.

Les gens se retournent sur mon passage. Je pense que c’est dû au poncho que ma mère m’a obligé à porter en sortant de la voiture. « Je vais être ridicule »…

Une couverture qui doit dater des pique-niques de mon enfance… En motif écossais. Elle a coupé le centre pour passer la tête.

J’ai l’air d’un péruvien perdu dans un des plus beaux village de la région : Saint Guilhem le désert.

Malgré ma dégaine je suis content de l’avoir sur le dos. Ça me réchauffe. Les mamans ont souvent raison.

Nous trouvons un café pour patienter. Le village est pittoresque : de vieilles maisons en pierres, une place centrale dominée par un platane séculaire, une abbaye romane imposante.

Petit à petit la place se colore de la présence des participants qui s’échauffent pour lutter contre le froid et préparer les muscles à la compétition.

500 personnes de tout âge. C’est joyeux.

Ma mère est heureuse. Elle retrouve l’ambiance des courses, l’excitation du départ, elle qui a couru tant de kilomètres : des Paris Versailles, des marathons en France, à New York, des courses au bout du monde : les foulées de la soie, du Yunan, du Sri Lanka… Elle est dans son élément. Elle parle avec tout le monde, souhaite bonne course, elle tutoie facilement.

Et moi dans cette couverture ridicule j’apprécie le moment.

Mon premier trail.

26 kilomètres avec 1200m de dénivelé.

Ça va grimper.

La musique annonce le départ dans moins de 10 minutes.

Tout le monde se regroupe, ambiance plutôt amicale. Vérification des sacs à dos, de l’alimentation. Les chronos se règlent.

Je suis un peu contrarié car j’ai oublié ma montre GPS. C’est un accessoire auquel je me suis habitué pour suivre les consignes de mon Coach. Vérifier la vitesse, le timing, les pulsations cardiaques.

Tant pis, je vais courir au feeling.

Ça y est. C’est parti.

Un joli tour dans le village et nous prenons le GR qui grimpe dans la montagne. Le sentier est étroit, bordé de végétation méditerranéenne.

Nous courons, puis rapidement c’est de la marche. La pente est raide. Ça parle moins, on entend les respirations s’accélérer. L’effort est là dès le départ. Je suis là aussi pour ça.

Le ciel est d’un bleu azur. L’air est frais et les premiers rayons de soleils commencent à adoucir l’atmosphère. Le paysage est minéral. De la roche blanche, grise, et le sentier c’est de la caillasse.

Les foulées s’enchaînent, après l’ascension du premier col ça redescend légèrement. L’alternance marche / course est très agréable physiquement. Ça va vite.

Vite, dans les montées, vite, dans les plats, vite dans la descente. Le cerveau est en sur-activité pour que les pieds se posent au bon endroit.

Rochers, racines, cailloux, pierres plates ou pointues, c’est un vrai casse tête.

Je suis stupéfait d’observer que je laisse faire. Mon corps sait.

Je cours avec les mêmes personnes depuis un moment.

Une fille en bleu derrière moi, une autre en noir juste devant. Des sportives de la région. Leur accent chantant ne trompe pas. Leur niveau d’endurance non plus. Elle grimpent comme des cabris. On échange quelques mots, des encouragements. L’esprit est convivial et naturel.

A la sortie d’un virage, la descente s’accélère. Les foulées s’allongent.

Je bute contre une pierre et me voila au sol roulant dans les cailloux. Mes mains amortissent la chute et ventre à terre je voit mon dossard qui était dans mon dos passer devant moi.

Je le récupère et me relève rapidement.

Mes compagnons de course s’arrêtent pour me demander comment ça va Ça va. Je me remets à courir et les rassure. Quelques égratignures sans importance je crois.

Ça fait parti du jeu.

Je ne serai pas le seul.

Le paysage défile. Les chênes verts, les pinèdes, les arbustes épineux le long du chemin colorent cette matinée d’hiver au milieu des blocs de pierre qui s’élèvent fiers vers le ciel. J’essaie de rester concentré.

Le chemin s’élargit, il devient une piste. C’est plus facile. Je n’ai aucune notion du temps. Je ne sais pas combien de kilomètres ont été parcourus, depuis combien de temps je cours et où j’en suis du parcours. Et je m’en moque. Cela m’est même très agréable de ne pas avoir à regarder mon chrono, ma vitesse. Je me sens bien. Je me sens en bonne forme.

J’ai tellement souffert lors des derniers triathlons de l’épreuve de course à pied après 90 kilomètres de vélo.

Malgré l’effort je prends du plaisir, je sens mon corps physiquement à la hauteur. J’aime l’alternance d’allure suivant le relief, la variété du parcours.

Je profite d’un dimanche matin ensoleillé dans un paysage de pleine nature, et en forme. Il y a pire non ?

Je pense à mon ami Laurent. Lui n’est pas en forme.

La maladie le ronge depuis des mois. On avait le projet de faire ensemble des épreuves de ce type pour nos 50 ans.

Pour l’instant la vie décide autrement. Je le sens avec moi tout comme je suis avec lui.

J’aurais envie de l’appeler mais j’ai peur de le déranger. Est ce bien de vouloir partager ce moment avec lui ? Lui qui souffre pendant que je cours dans la montagne pour mon plaisir ?

On se pose tellement de questions face à quelqu’un de malade.

J’arrête de me poser des questions. J’écoute mon cœur et je l’appelle. Un appel whatsapp en vidéo.

Il décroche. Vive la technologie. Il est alité dans son canapé, moi je marche, je cours et prends de ses nouvelles. C’est pas trop mal aujourd’hui. Moins pire. Je lui montre les paysages, lui parle de la course. Il semble heureux de me voir, et me le dit. Ça nous fait super plaisir. Les pleurs se mêlent à la joie, les émotions nous submergent. Je le quitte avant d’attaquer une descente. Son énergie est avec moi. Toujours.

La fille en bleu me dépasse. Elle était tout à l’heure un peu frustrée de ne pas pouvoir accélérer.

Elle veut « envoyer », me dit elle. Les descentes à fond pour gagner un peu de temps sur son chrono.

Je lui laisse prendre de l’avance. Le sentier devient un terrain de cailloux roulants. Je prends de la vitesse. J’évite de trop freiner pour limiter la douleur des cuisses qui commencent à accuser les kilomètres.

Je bute à nouveau.

M’étale de tout mon long. C’est étonnant comme on peut vivre une chute comme dans un film au ralenti. J’ai l’impression qu’il se passe plusieurs secondes entre le moment où mon pied bute contre une pierre et le moment où je m’écrase au sol.

La réception est terrible.

Mon quadriceps tape contre une grosse pierre.

Mes mains protègent mon visage, et j’ai l’impression que la pierre est rentrée dans ma cuisse. Heureusement elle est plutôt ronde. Ça fait un mal de chien.

Un gars m’aide à me relever. L’accent du pays rend tout le monde gentil ici. Je marche. Ça va.

Je boite un peu mais rien de grave. Il m’encourage à repartir avec lui.

C’est reparti.

Je demande par curiosité où on en est de la course.

20 kilomètres. J’acquiesce. On n’est plus très loin. Encore un col et 3 kilomètres de descente.

J’apprécie de ne pas être connecté. Libre.

La montée devient raide.

Je commence à doubler certains concurrents fatigués, voire même blessés. Je ne suis pas le seul à avoir embrassé le sentier.

Sauta Roc. C’est le nom des habitants de Saint Guilhem le désert.

Les sauteurs de rochers. Je comprends pourquoi maintenant.

La vue en haut du col est époustouflante. La végétation omniprésente. Les falaises de calcaire vertigineuses.

Aucune habitation en vue. La nature dans toute sa beauté et son hostilité.

La descente est de plus en plus raide et sinueuse. La fille en bleu est devant. Sa vitesse et son agilité m’impressionnent. Je m’accroche. En écartant les bras je ressens plus de facilité, d’équilibre. Mes chevilles qui accusent ce terrain agressif depuis un moment deviennent douloureuses. Les cuisses, n’en parlons pas.

Le cardio apprécie d’être moins mis à contribution.

Nous avons une belle cadence, j’ai parfois l’impression d’être au dessus du sol.

La fille mène la course depuis un moment.

Tout à coup dans une ligne droite moins caillouteuse je vois ma fille en bleu chuter et glisser sur le sol. Étalée sur le ventre.

Elle a l’air un peu sonnée.

Je la relève. Elle s’appuie sur moi un instant. Elle me dit que tout est ok. Elle ramasse son téléphone qui a fait quelques mètres de plus qu’elle, et reprend sa course avec une belle allure malgré sa chute.

« Ça va ton téléphone ? »

« Oui ça va, j’ai plus eu peur pour mes dents » me dit elle avec un sourire éclatant.

Le sentier se termine sur la route qui mène au village.

« Allez, viens, on envoie tout jusqu’au bout » me propose-t-elle avec son accent si chantant que je ne peux refuser. Accélération maximale pour la suivre jusqu’à la ligne d’arrivée.

3h22.

Elle pensait mettre 4h. Son bonheur rayonne autant que le soleil qui a maintenant atteint son zénith et nous réchauffe de la douceur d’une matinée devenue presque printanière.

Je me sens bien et je profite de ce moment dans la foule où chacun échange ses impressions, ses sensations…

Tous uniques mais portés par une même énergie de vie à la recherche de dépassement personnel.

Heureux de cette nouvelle expérience et prêt à renouveler l’expérience dans 10 jours au Canaries pour la Transcanaria.